Un jour d’automne 2021
Je suis sur le quai. Il est 14h25. J’attends mon TER pour me rendre dans la ville voisine pour un trajet de 10 min. Le train arrive. Une jeune maman monte avec un bébé d’environ 18 mois en poussette. Elle est accompagnée d’un homme d’une soixantaine d’années. Je m’assois. On entend le bébé qui crie un peu, comme les adultes qui l’accompagnent. Je tends l’oreille. Puis une minute plus tard, j’entends un cri, puis comme le bruit d’une claque puis les pleurs du bébé. J’hésite à me lever. Je ne suis pas sûre que l’enfant ait vraiment été tapé. Mais si ça avait été une femme, je l’aurais fait à coup sûr alors je m’autorise à faire pareil pour le bébé. Je m’assois près d’eux. Je regarde le vieil homme, qui est le papi, je l’apprendrai plus tard.
L’enfant vient de jeter sa tétine par terre. Les adultes ne veulent pas lui ramasser.
« Tu n’avais qu’à pas la jeter ! On va la laisser là !» dit le grand-père.
Et la mère rajoute :
« Tu ne la retrouveras plus jamais ! ».
L’enfant pleure, se penche de la poussette pour essayer d’attraper sa tétine ( et de ce fait, essayer de réparer lui-même ce qu’il a fait ). Le bébé, Jules de son prénom, est attaché par une sangle 5 points, il ne peut pas ramasser sa tétine.
J’hésite à lui rendre. Ne vais-je pas m’opposer aux règles des parents ? Puis, je me dis que je l’aurais fait pour un adulte qui aurait fait tomber un objet. Alors, je me lève, la ramasse et lui tends. Je lui parle :
« Tiens, c’est ça que tu voulais ? »
Le grand-père dit alors :
« Tu en as de la chance, elle est gentille la dame. Il la jette et après, il la veut. Il fait n’importe quoi ».
J’explique alors :
« Vous savez, sa main a jeté mais il n’a pas vraiment choisi. Vous savez, c’est un peu, comme quand vous avez décidé d’arrêter de manger des cacahuètes à l’apéro et que vous en reprenez quand même. Alors un enfant si petit que ça, il a encore plus de mal à se retenir… ».
Le papi ne comprend pas vraiment. Je lui propose une autre image :
« Ou c’est comme quand vous buvez du vin. Des fois, on se dit que l’on va s’arrêter là, et puis on reprend un autre verre sans vraiment s’en rendre compte».
Il me répond :
« Ah mais le 2e, c’est pour faire descendre le premier » en rigolant. »
Je me dis alors qu’il ne comprend pas et qu’il ne sera pas accessible à mes explications… jamais.
La maman finit par détacher l’enfant qui veut alors se déplacer dans le wagon. Elle essaye de l’en empêcher. Je lui dis alors :
« Ah, mon fils adorait marcher dans les trains aussi au même âge. »
Elle continue à bloquer l’enfant. L’enfant réussit à se glisser sous la poussette (pour satisfaire son besoin d’explorer).
« Mais qu’il est infernal ! »
Je fais une proposition :
« C’est vrai qu’il bouge beaucoup, il en apprend des choses. »
Le grand-père continue de râler. Je me dis alors que c’est une cause perdue… que j’ai perdu mon énergie, que j’ai pris un risque pour rien : les adultes auraient pu très mal réagir que j’intervienne auprès d’eux, malgré la diplomatie, l’empathie et la douceur que j’ai essayées d’avoir.
Comment pouvais-je espérer qu’en 3 min, je pourrais apporter de l’information à des inconnus dans le train et modifier un peu leur façon de voir l’éducation des enfants ?
Le train s’arrête, nous descendons chacun de notre côté. L’après-midi passe.
Puis il est 19h, je rentre chez moi. J’entre à nouveau dans le train. Et là, qui est là… ? la petite famille…
Jules est dans sa poussette, il tient un téléphone dans les mains, une vidéo est en marche avec le son assez fort. Je suis fatiguée et pas prête à supporter le bruit. Je m’éloigne et m’installe de l’autre côté de la voiture.
Et qui vois-je une minute plus tard qui arrive près de moi sur ces deux pieds ?
Jules, détaché, qui marche dans le train. Sa maman le suit… sans le gronder…
Elle va, à un moment, lui demander de revenir vers la poussette mais sans lui crier dessus. Pour le motiver, elle va lui propose un bout de pain :
« Tu viens, il y a un petit bout de pain là-bas ».
Imaginez que vous être en pleine exploration d’un nouvel endroit passionnant, il vous faudrait aussi une petite motivation pour le quitter tout d’un coup.
Alors, j’ai l’espoir que mon intervention n’ait pas été si vaine. Que si le grand-père n’a semblé rien comprendre, la maman a peut-être entendu les informations que j’ai essayé de transmettre. Qu’elle était là et qu’elle a peut-être pu se mettre à la place de son enfant et modifier un peu ce modèle d’éducation.
Ce modèle qui est celui que nous avons reçu pour la grande majorité, qui ruisselle dans notre société et qui se base sur le fait que l’enfant ne cherche qu’à nous avoir, à nous dominer, que c’est l’éducation qui le rend bon et que, sans elle, il serait un petit tyran sans empathie.
Je vous propose deux vidéos pour illustrer ce propos :
1981 : Les Français vus par les Japonais | Archive INA
J’aime tout particulièrement ce passage (3’05) où une japonaise dit : « Il me semble que la différence entre les français et les japonais, c’est que les français croient que l’Homme est né foncièrement mauvais et ils s’en méfient. Alors que les japonais croient que l’Homme est né foncièrement bon et ils lui font confiance. »
Et cette vidéo qui regroupe un ensemble d’expériences qui prouvent que l’empathie est déjà en place chez les bébés, naturellement :
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